Cette exposition est l’occasion de découvrir deux univers singuliers ainsi qu’ une salle partagée où des œuvres ont été créées à quatre mains spécifiquement pour cet évènement. A la Maison des Arts Solange-Baudoux à Evreux jusqu’au samedi 23 août.
Tous les deux se sont prêtés au jeu de l’interview « Mot à Mot » d’Anne Jaillette retranscrite ici
Semilu
est une artiste multiple autodidacte qui nous invite à travers son trait promeneur et joueur à déambuler le long de corps, visages, objets dessinés sur des espaces, matières et matériaux multiples allant de la toile en passant par le textile, la fresque, la céramique… Ses accumulations surabondantes sont comme des questionnements sur nos émotions et quotidiens traversés et où les références graphiques et poétiques de Keith Haring, Cocteau et Dubuffet résonnent de toute évidence.
Enfant, quelle était la place de l’art dans votre environnement familial ?
Semilu : Nos parents nous ont ouvert au monde de l’art en nous emmenant voir des expositions, lieux culturels, spectacles et en nous encourageant dans la pratique artistique. Nous dessinions mes sœurs et moi beaucoup et depuis mes plus jeunes années, je crois m’être construit un univers grâce au dessin. La découverte du Château de Vascœuil reste un fort souvenir.
Quel fut le choc artistique ou le déclic qui vous a fait prendre conscience que l’art aurait une place importante dans votre vie ?
Je n’ai pas de souvenirs précis car l’art a toujours fait partie intégrante de ma vie et de mon quotidien. J’ai toujours dessiné, fascinée par des oeuvres et des artistes. Je me souviens avoir eu une envie irrésistible de créer après avoir visiter certaines expositions ou visionné des films (comme Camille Claudel ou Frida).
Pouvez-vous revenir sur votre parcours artistique ?
Mon parcours est entièrement autodidacte. J’ai suivi une option artistique au lycée Aristide Briand d’Evreux (qui m’a permis d’obtenir mon baccalauréat), je n’ai ni pris de cours, ni poursuivi d’études dans ce domaine. Cependant, comme je l’ai mentionnée précédemment, je crois n’avoir jamais passé plus de deux jours sans dessiner, et j’ai construit ma propre culture artistique.
Quelles rencontres ont marqué votre évolution artistique ?
Toutes les personnes bienveillantes que j’ai croisées m’ont soutenue en me faisant confiance c’est-à-dire en me mettant des lieux à disposition et en m’offrant des opportunités. J’ai eu la chance d’être bien entourée, de faire de belles rencontres et de bénéficier de la confiance de nombreuses personnes. La véritable rencontre qui a marqué un tournant dans mon parcours artistique – transformant une passion en métier – a été la naissance de mes filles, ça m’a poussé à assumer pleinement mon travail avec l’envie d’être une mère épanouie et inspirante.
Quelles sont vos influences et vos sources actuelles d’inspiration ?
Parmi mes influences, on retrouve de grands noms comme Keith Haring, Niki de Saint Phalle, Modigliani ou Dubuffet, mais aussi des artistes contemporains comme Ines Longevial, Yrak ou Anne-Sophie Tschiegg. Mon inspiration ne vient pas que des arts visuels, elle puise aussi dans les multiples signes qui m’entourent, mouvement du corps, dans la richesse de la nature, la musique… Ce sont les plaisirs simples de la vie, les petits détails du quotidien qui nourrissent ma créativité et ravive mon innocence d’enfant capable de s’émerveiller devant le simple passage d’un oiseau.
Comment définiriez-vous votre démarche artistique ?
Ce n’est pas tant une démarche artistique qu’un besoin. Créer fait partie de mon quotidien et c’est quelque chose dont je ne peux pas me passer. Bien sûr, il faut parfois « s’expliquer » et ça m’oblige à prendre du recul, à réfléchir sur ce que je fais et poser des mots dessus, mais en réalité c’est mon moyen d’expression, simple et essentiel. L’idée étant quand même de faire ressortir une légèreté, une fraicheur même lorsque la vie ou les actualités sont dures.
Dans votre manière de créer, êtes-vous plutôt éruptive ou travailleuse du quotidien ?
Pourquoi choisir ? Puisque ma passion est devenue mon métier, j’ai l’esprit libre pour y penser chaque jour. Je dessine quotidiennement, même si ce n’est pas toujours pour produire une œuvre aboutie : parfois c’est juste un croquis, une idée posée sur le papier. Certains jours, je ressens un besoin irrépressible de créer, et dans ces moments-là, ça devient une priorité, même si d’autres tâches plus urgentes m’attendent.

Pouvez-vous décrire une journée type lors d’une phase créative ?
Il n’y a pas vraiment de journée type et c’est aussi ce que j’aime : les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Dans mon processus de création, j’ai souvent l’idée en tête depuis un moment ou alors c’est du dessin automatique, je peux donc me lancer directement dans les tracés sans passer par la case crayon, je me fais confiance. Je prends ensuite du recul pour voir si la composition des formes me satisfait. Vient ensuite la mise en couleurs, assez instinctive elle aussi, où je cherche à trouver un équilibre. Depuis quelques mois, je travaille par série avec deux ou trois toiles en même temps, je cherche donc des liens entre elles via les formes et les couleurs. Je termine par les contours noirs, au pinceau : un moment suspendu, hors du temps. Il est rare que tout ce processus se fasse en une journée, j’alterne souvent avec du dessin ou d’autres travaux. Je peux travailler pendant de longues heures, et je laisse peu de place aux doutes à ce moment-là ; si cela m’arrive, je laisse la toile de côté pour y revenir plus tard.
La peur de la panne créative est un mythe ou une inquiétude réelle ?
Personnellement, je ne m’inquiète pas de la panne créative. Ce que je ressens plutôt, c’est le manque de temps pour réaliser toutes les idées qui me viennent. C’est peut-être du fait que j’aime varier les pratiques et toucher à tout, entre le dessin, la peinture, le tufting, la céramique et tout le reste, je peux m’adapter et passer d’une technique à l’autre. J’essaie aussi de me faire confiance au maximum et de ne pas trop douter pendant la phase créative afin de ne pas me bloquer et palier à un autre « mythe ou inquiétude réelle » : le syndrome de l’imposteur.
Quel regard portez-vous sur vos œuvres ?
Certains travaux me plaisent plus que d’autres, que ce soit pour leur esthétique ou plus souvent pour le moment qu’elles reflètent et ce qu’elles expriment de personnel. Ce que j’apprécie avant tout, ce sont les retours des gens : si mon travail peut apporter quelque chose aux autres, je suis contente. Je ne m’attache pas particulièrement à ce que je crée et n’expose rien chez moi. Les seules créations auxquelles je tiens beaucoup et dont je ne me séparerai jamais, ce sont des carnets de voyage et du quotidien illustrés qui me replongent dans des souvenirs.
Quels sont vos projets, vos rêves en matière de création ?
Chaque année de nombreuses demandes d’institutions ou de particuliers m’apportent de nouveaux projets, je mesure la chance que j’ai de vivre de ma passion, de faire tant de rencontres et de pouvoir m’épanouir dans cet univers, même si le rythme est effréné. Je peux découvrir de nouveaux endroits grâce à mes interventions ou performances, côtoyer des milieux variés et continuer à évoluer artistiquement. J’affectionne particulièrement les fresques et j’espère pouvoir continuer à développer cette pratique, qu’elle soit participative ou en solo.
Que représente pour vous le fait d’exposer à la Maison des Arts Solange Baudoux ?
C’est un grand plaisir, je connais le lieu depuis mes années collège et je suis honorée de pouvoir aujourd’hui y exposer. J’y donne aussi des cours depuis 2 ans et fais donc partie d’une structure comme on en voit peu. C’est une vraie chance d’avoir un lieu culturel comme celui-ci à Evreux. C’est aussi une belle rencontre avec Ditno 83, nous arrivons à construire une collaboration artistique, et ces galeries d’exposition nous offre un lieu d’expression superbe.
Selon vous qu’est-ce qu’un artiste ?
A mon sens, il n’y a pas un seul type d’artiste. Le point commun, c’est avant tout la création, le fait de concevoir à travers une diversité de modes d’expression et d’approches très variés. C’est un regard personnel sur le monde et les choses. Pour moi, l’Art est une forme de liberté, une manière de s’exprimer et de partager.
Quelle est la place de la musique dans votre vie d’artiste ?
La musique occupe une place importante, car elle m’accompagne depuis toujours dans mes moments de création, avec un répertoire très éclectique. J’ai souvent trouvé de l’inspiration dans des textes, comme ceux de Georges Brassens, qui m’ont amenée à réaliser plusieurs toiles et dessin, mais aussi chez des artistes en général comme Chavela Vargas, David Bowie ou Bach.
Propos recueillis par Anne Jaillette, Directrice de la Maison des Arts.
